Les agronomes aux pieds nus
du Burkina Faso
La même utilisation des pluies pour féconder la terre a donné des résultats remarqués sur chaque continent; ici, celui gagné par la désertification, l'Afrique. Il s'agit là aussi d'un retour en grâce de techniques anciennes, qui a conmmencé au Burkina Faso au début des années 1980.
A l'époque, une sécheresse sans précédent frappe la province de Yatenga, réduisant les récoltes en poussière et obligeant des centaines de fermiers, désespérés, à quitter leurs terres. Un jour, un fermier illettré du village de Gourga, ^ Yacouva Sawadogo, regarde la terre craquelée de ses champs et se dit qu'il ne perdrait rien à essayer une méthode de culture autrefois utilisée au Sahel, mais oubliée¹, le zaï. Celle-ci consiste à
- creuser dans les champs des cavités rondes d'une vingtaine de cm,
- dans lesquelles on dépose les semences
- et un peu de compost.
Quand la saison humide arrive, l'eau de pluie reste piégée par ces activités et fait germer les graines.
Yacouba Sawadogo s'attelle donc à la tâche et, dès la 1ère récolte, a la surprise de voir les rendements doubler, voire quadrupler selon les plantes. Il décide alors de faire connaître cette technique et enfourche sa moto pour sillonner les villages et parler de cette pratique aux paysans de sa province². Puis Yacouba Sawadogo encourage les fermiers à communiquer entre eux; en 1984, il met sur pied des rencontres + larges sur les marchés locaux, où les fermiers peuvent comparer leurs récoltes (maïs, mil, sorgho..) et leurs maninères de procéder. C'est ainsi que progressivement, ils perfectionnent la technique du zaï, en s'apprenant mutuellement
- à entourer les parcelles de cordons de pierres pour contenir le ruissellement des pluies³,
- à modifier la densité de cavités à l'hectare
- et à choisir les semences.
Ces échanges débouchent sur la création d'associations de groupes, et c'est ainsi que le zaï se répand, d'agriculteur à agriculteur.
Ce mode de transmission doit beaucoup à 2 autres fermiers burkinabés, Ousséni Zoromé et Ali Ouédraogo. Fermier dans le village de Somyanga, Oysséni Zoromé a adapté le zaï en observant l'écoulement des eaux sur ses terres et en tenant compte de la nature des sols*. Il a ensuite appris aux paysans à utiliser le zaï sur des lopins de terre dégradée, en lançant des écoles de zaï sur le terrain, qui existtent désormais dans 5 départements du Burkina Faso. De son côté, Ali Ouédraogo a régénéré les sols en combinant le zaï avec la plantation d'arbres qui maintiennent l'humidité et favorisent l'infiltration naturelle. Il a formé à cette technique plusieurs dizaines de fermiers de sa région qui, a leur tour, en ont formé d'autres.
Le zaï est aujourd'hui utilisé dans 8 pays du Sahel. Les autorités ne se mobilisent guère pour le promouvoir, son extension et son amélioration sont portées par les fermiers eux-mêmes, qui se transmettent ce procédé entre eux, aidés de quelques associations**. Au Niger, où elle s'appelle tassa, cette technique a ainsi été importée par 13 paysans qui étaient allés d'eux-mêmes l'apprendre au Burkina Faso. En quelques années, le zaï a permis de faire repousser la végétation sur des sols qui étaient devenus stériles, réhabilitant de 3 millions d'ha au Burkina Faso***.
La production agricole s'est accrue et diversifiée,
augmentant les revenus des agriculteurs,
freinant l'exode rural
et améliorant le niveau d'autosuffisance alimentaire du pays***.
Dans un écosystème restauré, les femmes peuvent de leur côté gagner leur vie en produisant noix de karité et arachides.
On objectera qu'au XXIè s., recourir à des procédés aussi archaïques pour irriguer les sols est un anachronisme et qu'ils n'atteindront jamais le niveau d'efficacité des équipements hydrauliques lourds (forages, pompages, pipelines). Mais ceux-ci sont hors d'atteinte des populations pauvres et, surtout, ils prélèvent les ressources hydriques sans les renouveler, aggravant à terme la pénurie. Il faut d'ailleurs constater que les politiques de développement¤ qui privilégient ces équipements ont jusqu'alors échoué à fournir un accès universel à l'eau. La redécouverte de ces techniques simples -johads, chaukas ou zaï- qui ont montré leur pertinence dans la restauration du cycle de l'eau, n'est donc pas si absurde face à la réduction des réserves hydriques et à la désertification. En nov 2009, deux experts de la Banque mondiale sont d'ailleurs venus passer 2 jours dans le district d'Alwar en Inde et sont repartis convaincus de l'efficacité des johads¤¤. Le fait qu'une institution par laquelle passent les représentations universellement admises du "progrès" reconnaisse l'efficacité de techniques anciennes n'est pas anodin. Car aujourd'hui,
le développement ne peut plus se contenter d'être
"une formule standard d'occidentalisation qui ignore les singularités,
solidarités, savoirs et arts de vivre des civilisations traditionnelles",
rappelle Edgar Morin¤¤¤:
il doit faire une place à des techniques peu coûteuses
qui assurent aux habitants une fourniture en eau toute l'année
et sont transposables partout.
Efficaces dans les pays chauds, elles le seront a fortiori sous d'autres climats.
Certes, ces procédés exigent une main-d'oeuvre nombreuse: les johads du Rajasthan ont mobilisé plusieurs centaines de villageois et la technique du zaï exige de creuser 12000 à 15000 cavités/ha. Mais le fait de n'utiliser que des bras, des pioches et quelques sacs de ciment est ce qui rend ces méthodes accessibles aux populations rurales pauvres, qui sont aussi les 1ères victimes des variations climatiques (dont nous sommes les 1ers responsables). Rajendra Singh v est d'ailleurs convaincu que leur duplication à grande échelle pourrait assurer l'autosuffisance en eau de toute l'Inde et, au-delà, de toutes les zones arides du globe.
"Le réchauffement climatique est mondial, mais il ne sera résolu que par des solutions locales, décentralisées" de ce type.
Il reste donc à multiplier les échanges pour étendre ces expériences. Confrontés au même défi de pénurie d'eau, le Sud et le Nord ont désormais beaucoup à apprendre l'un de l'autre.
Bénédicte Manier
¹ Chris Reij, Gray Tappan, Melinda Smale, Agroenvironmental Transformation in the Sahel, Another Kind of "Green Revolution", Ifpri, 2009
² Yacouba Sawadogo a fait l'objet d'un documentaire britannique en 2010, The Man Who Stopped the Desert (www.1080films.co.uk)
³ "Innovation locale au Burkina Faso dans la vulgarisation agriculteur à agriculteur", portail du développement du Burkina Faso (www.faso-dev.net/IMG/article.../Innovation-locale-au-Burkina-Faso.pdf)
* Bouakari Ouangraoua, "Burkina Faso: Ousséni Zoromé, le paysan-chercheur", Syfia, 11 mai 2005
** L'association Kaab-Noogro, l'association des groupements zaï pour le développement du Sahel, ou l'Association des écoles de zaï sur le terrain.
*** Rapport du rapporteur spécial sur le droit à l'alimentation Olivier de Schutter, assemblée générale des Nations Unies, 20.12.2010
¤ Sur le questionnement de ce concept, voir Gilbert Rist, Le développement: histoire d'une croyance occidentale, Presse de Sciences Po, 2007
¤¤ L'auteure a été témoin de cette visite.
¤¤¤ "Les nuits sont enceintes et nul ne connaît le Jour qui naîtra", tribune parue dans Le Monde, 9 janv 2011
spéciale dédicace à tous ceux qui prétendent encore
que la Terre ne peut pas Tous nous nourrir!
- SI, mais pas n'importe comment,
et encore moins partout avec les mêmes méthodes!
proposé par mamadomi