L'évangile de Marie
commentaire
"Qu'est-ce que la matière?"
Avant de se poser des questions concernant le sens du monde, son pourquoi, son comment, il convient de se demander ce qu'il est, s'il existe vraiment, s'il est fait pour durer, "existera-t-il toujours?", n'est-il qu'une illusion?
"Que m'importe ce qui n'est pas éternel"
Avec l'Évangile de Marie, nous sommes d'emblée inscrits dans une "voie" et une perspective qui relèvent de la métaphysique. Avant de faire ou d'agir, de s'interroger sur l'opportunité ou l'inopportunité de nos comportements, il importe de savoir si nous sommes et ce que nous sommes.
Avant de se poser la question de savoir "pourquoi il y a du mal et de la soufrance dans le monde", il faut d'abord se poser la question de savoir si ce monde "existe", comment et pourquoi...
Le christianisme tel qu'il nous apparaît dans l'Évangile de Marie est donc bien une voie de connaissance, il ne se contente pas de donner des règles de vie et de proposer une amélioraion de nos comportements. Yeshoua a aussi quelque chose à dire sur la "nature" du monde et de l'homme.
L'Évangile de Marie Le présente comme l'Enseigneur, Celui qui Transmet l'Enseignement, les informations nécessaires à la Réintégration de l'homme en lui-même et en Relation avec Sa Source et Son Principe, avec Celui que, dans la plupart des Évangiles, Il appelle Son Père: "Mon Père et votre Père", Mon Dieu qui est votre Dieu, dira-t-Il à Myriam de Magdala. Il communique les enseignements qui peuvent rendre à l'homme sa Filiation perdue, une intimité inouïe avec l'Origine, intimité dans laquelle Lui-même a toujours vécu, ses dits et ses actes étant l'expression et la manifestation de cette intimité.
Certains traduiront "Enseigneur" par "Sauveur". Le terme est également possible si l'on se rappelle "de quoi l'homme doit être sauvé": de son Ignorance, de son oubli de l'Être, d'où il vient, où il va; l'homme est sauvé de l'ignorance et de l'oubli de la Présence dont il est l'incarnation. Le Salut est ainsi avant tout une connaissance, un enseignement qui le rend "libre" de ses attachements et de ses identifications à ce qu'il n'est pas réellement. Ici, en l'occurrence, la matière.
L'Enseigneur répondit:
"Tout ce qui est né, tout ce qui est créé,
tous les éléments de la nature
sont imbriqués et unis entre eux.
Tout ce qui est composé sera décomposé."
Après ce rappel de l'interdépendance de toutes choses, on peut être frappé de l'actualité de cet enseignement: rien n'existe "en soi" ou "par soi", le monde est un tissu de relations; on ne peut saisir la moindre chose sans la saisir dans le filet et les noeuds des interdépendances qui la constituent. C'est vrai de la matière, c'est vrai aussi de la nature de l'homme, de son corps, et des pensées qui l'animent...
Tout ce qui est est le résultat d'un certain nombre de compositions ± complexes, et est aussi sujet à décompostion: "tout ce qui est composé sera décomposé." C'est là une évidence qui nous rappelle que cet univers n'a pas toujours existé et qu'il n'existera pas non plus toujours, tout ce qui a un commencement aura aussi une fin. Ignorer cela peut être source d'illusions, d'attachements et donc de souffrances, comme le disent toutes les anciennes sagesses.
Se laisser informer par cette Parole de l'Enseigneur peut être, pour celui "qui a des oreilles pour entendre", source de salut et de libération, aucune idolâtrie de la matière n'est plus possible; relativiser ainsi la nature des choses va nous permettre de mieux les aimer, avec ce "regard éloigné" et "ce coeur détaché" qui sont les symtômes d'une authentique "santé de l'âme" (soteria veut dire aussi bien "salut" et "santé" en grec).
"Tout reviendra à ses racines,
La matière retournera aux origines de la matière",
ajoute l'Enseigneur.
Toute évolution est un retour, un retour qui n'est pas une régression. Retour ne veut pas dire retour en arrière, mais retour en "Avant", retour vers ce lieu qui est notre origine et notre fin, notre alpha et notre oméga; ce lieu qui est "hors temps". Il s'agit bien d'Origine et non de commencement.
Le Royaume dont il sera question dans l'Évangile de Marie n'est pas un "retour" à je ne sais quel paradis ou état de conscience "perdu", mais Éveil à cette dimension de l'Être qui, dans l'Instant, nous donne d'exister et fait en sorte "qu'il y ait quelque chose plutôt que rien".
De l'information qui habite "le grain de blé jeté en terre" naissent des racines, de ces racines la fleur, de cette fleur le fruit mûri dans la patience du soleil et des ondées qui s'offre aux appétits de ceux qui le rencontrent ou le désirent...
Avec l'hiver tout revient aux racines et aux Racines des racines, à l'information Originelle qui, tout en faisant exister tout chose, demeure elle-même insaisissable: "La matière retourne aux origines de la matière", cette Origine qui n'est "Rien du Tout donne elle est la Cause".
Comme le disait l'évangéliste Jean à la même époque, à propos du Logos:
"Tout a en Lui sa genèse,
Sans Lui, Rien" (Jn 1,3)
Logos, Origine, ce "Rien du tout dont Il est la Cause", par qui tout existe, Lui, Elle, que sont-ils? Rien de ce qu'on peut imaginer, penser, se représenter sans doute, mais, "si de Rien, rien ne peut sortir", qu'est cette fécondité insaisissable, cette vacuité matricielle?
Que celui qui a des oreilles pour entendre entende." Ce n'est pas là une boutade ironique de l'Enseigneur pour cacher quelques petits secrets ou pour conclure au + vite, c'est une invitation à "avoir des oreilles", à se façonner un organe capable de cette compréhension subtile, une faculté d'attention qu'il s'agira de développer, ne parlons pas encore du nous des prochains versets, parlons seulement de cette intelligence contemplative, de ce pressentiment de l'Ouvert, ou de cet étonnement d'être, sans lesquels la Révélation de ce qui "est" n'est pas possible; car le Réel ne se donne qu'à ceux qui prennent le temps de l'Écouter, et avant d'en entendre le dire abyssal, qui savent endurer son Silence.
Shema Israël, "Écoute Israël", l'exercice proposé par Moshé à ses compagnons distraits et bavards, c'est le même enseignement repris ici par Yeshoua.
Si le sujet conscient est sans oreilles,
il n'y aura rien à entendre;
si ses yeux ne sont pas ouverts
il n'y aura rien à voir;
si son coeur ou son nous n'est pas éveillé,
il n'y aura rien à comprendre...
La matière et ses origines ne lui offriront aucune obscurité, ni aucune clarté, de sens.¹
Evangile copte du IIè s. traduit/commenté par J.-Y. Leloup
¹ autre interprétation possible de Ev Mr, 7-1-10: de même qu'il ne restera pas de l'édifice matériel du Temple "pierre sur pierre", puisque "tout sera dissous" (Kataluthésetai, Mt 24,é), des fondations jusqu'au faîte, les éléments de la matière "seront dissous" (euna bôl ebol).
...à suivre
proposé par mamadomi
art. n°2300